Le rap français: les cultures populaires s’enflamment

par Lilja Stirpe (diplomée en Langues et cultures européennes, Rijksuniversiteit Groningen)

Le style musical hip-hop m’a toujours passionné, particulièrement un de ses composants, le rap français. En effet, la scène rap française est la deuxième plus influente au niveau international, après les Etats-Unis, où il trouve son origine. J’ai été d’autant plus surprise de constater lors de mes recherches que, en 2022, sur les 10 albums les plus vendus en France, 6 albums étaient produits par des rappeurs.

Marginalisé pendant des décennies, utilisé par les médias comme porte-parole de la banlieue et synonyme de ses problématiques, le rap français fait aujourd’hui partie intégrante de la culture et du patrimoine français, ce qui a toujours besoin d’être reconnu. Notamment, l’année dernière, au théâtre du Châtelet à Paris, il s’est déroulé la cérémonie les Flammes, comme première cérémonie qui célèbre et repositionne les cultures populaires, en citant l’humoriste et animateur de la cérémonie, Fary Lopes:

Les Flammes c’est une cérémonie qui est censée mettre en avant la Culture dite urbaine, une culture qui n’est pas assez mise en avant, une France qui n’est pas assez mise en avant.

La scène actuelle est très diversifiée et comprend des talents issus des banlieues, du centre-ville, de la province ou de la campagne. Aussi les artistes s’expriment-ils à travers différents style de rap en constante évolution ou fusion entre eux, les principaux étant un rap lourd, un peu gangster, le rap zumba plus dansant, souvent avec des influences africaines et antillaises, ainsi qu’un rap conscient et politiquement actif ou des variations du rap basées sur des sons sphériques, comme le cloud rap.

En plus de cette variation, mon mémoire souhaite mettre l’accent sur les minorités de la société française qui représentent encore la majorité du rap en France et qui sont les plus touchées par la discrimination, liée à la classe sociale, au genre, à l origine et à la couleur de peau.

Essentiellement, mon mémoire de fin d’études examine le rap français et comment l’empouvoirement, en anglais empowerment, s’exerce dans certains groupes minoritaires. Par une analyse du discours qualitatif des textes j’ai montré la protestation de différents rappeurs et une rappeuse et différents contextes de discrimination. Dans mon travail, je présente quatre artistes. Premièrement, la rappeuse et productrice Vicky R, originaire du Gabon et la moins connue des quatre. Ensuite, les rappeurs connus Kery James, originaire de Guadeloupe et Orelsan, originaire d’Alençon. Enfin, Jul, originaire de Marseille, est sans doute le plus connu et ayant le plus grand succès commercial.

A l’aide de Vicky R et de sa chanson F*ck le rap féminin, l’intersection d’une femme noire reflète dans un rap puissant. De plus, dans le morceau A qui la faute Kery James et Orelsan proposent une réflexion sur la banlieue du rap conscient. En dernier lieu, Jul, dans J’ai tout su, s’engage par une représentation mélodique et audiovisuelle de son quartier marseillais de rap zumba.

Dans mes études, les théories de Bourdieu, concernant les différentes formes du capital et le concept de l’habitus, m’ont fourni un aperçu global de l’espace social, mais aussi d’un espace des limites. Pourtant, en 2023, la théorie de Bourdieu n’etait pas suffisante pour une représentation actuelle de la scène rap française, alors qu’il est nécessaire de considérer l’individu sous d’autres facettes et surtout sous differentes formes de discrimination. Ainsi, l’intersectionnalité, développée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw, sert comme moyen de sensibilisation au chevauchement des discriminations. Essentiellement, Crenshaw se réfère aux individus qui se trouvent sur le point d’intersection des deux ou plus formes des discriminations.

Dans le cas du rap français, si l’on parle de l’expérience des rappeurs, le discours exclut les rappeuses dans leur ensemble, ainsi que les rappeurs issus de différents milieux, qui selon l’origine et la couleur de peau, subissent différentes formes de discrimination. Ainsi, différents types de rap et différentes rappeuses et différents rappeurs évoquent des espaces sociaux individuels puisque chaque rappeur.e peut être défavorisé.e à des degrés divers. En complément des théories de Bourdieu, j’ai tenté avec l’intersectionnalité d’analyser les limites et les conditions du goût et des capitaux, en m’intéressant plus à l’individu et à son identité.

Dans ce blog j’aimerais mettre en avant Vicky R et sa chanson F*ck le rap féminin sorti en 2022. Principalement, Vicky R représente une interface de la double position minoritaire des rappeuses en question. Premièrement, elles sont des femmes dans un monde professionnel majoritairement masculin; Deuxièmement, elles sont des artistes d’un genre musical attribué aux banlieues dans un monde à prédominance blanche.

Je dois en faire en plus a cause de mon sexe, je te jure, cest dommage et quand j’en parle on me dit d’arrêter, d’en faire tout un fromage

Ici ça rap tout court, on ne fait pas de rap feminin (yeah)

Principalement elle appartient au collectif des rappeuses, mais ne veut pas être diminuée dans la scène du rap français, parmi ses collègues masculins. Ainsi la question se pose si cette catégorisation supplémentaire de rap féminin est vraiment nécessaire.

Tous les jours, je pense chèque
Tous les jours, je trime
Les rageux en chien depuis que je brille
On n’est pas les mêmes, on n’aura pas la même vie
On n’est pas les mêmes, on n’aura pas la même vie

Je dois en faire en plus à cause de mon sexe, je te jure, c’est dommage
Et quand j’en parle on m’dit d’arrêter, d’en faire tout un fromage

C’est vous les pros, logiquement j’ai pas besoin d’vous faire un dessin

Ici ça rap tout court , on ne fait pas de rap féminin (Yeah)

Le refrain est puissant et interprété par Vicky R dans sa capacité de femme d’affaires et peut etre compris comme une motivation pour le capital économique, normalement connu dans le rôle masculin du rappeur gangster. Ensuite, l’anaphore tous les jours souligne l’intersectionnalité à laquelle la rappeuse est confrontée quotidiennement, en séparant clairement son expérience de celle de ses collègues masculins.

N’aime pas les flocos, demande à Dada et Juiice

On n’a pas les mêmes chances, c’est pour ça qu’on pousse

Notamment, cette partie est pertinente du point de vue intersectionnel car les rappeuses Dada et Juuice partagent le même genre que Vicky R et sont toutes les trois des femmes noires françaises. La phrase finale on n’a pas les mêmes chances, c’est pour ça qu’on pousse peut être ici, contrairement au refrain, une différenciation par rapport aux collègues rappeuses et une reconnaissance supplémentaire aux rappeuses noires.

Finalement, Vicky R et sa chanson offrent une critique et une mise en valeur de son rôle de femme dans le monde du rap ainsi qu’une revendication pour l’inclusion et l’égalité des genres, où elles représentent des femmes fortes, des femmes d’affaires, en differents facettes.

Encore marginal il y a 40 ans, le rap est aujourd’hui écouté par un Français sur trois et 80% des moins de 25 ans. Ainsi, aujourd’ hui, le rap se trouve à la tête du capital économique musical, sans forcément attendre la reconnaissance de la majorité.

Dans mon analyse, les trois rappeurs et la rappeuse se sont engagé.e.s en faveur d’un ou plusieurs groupes minoritaires en France, en se mêlant à l’esthétique ou en protestation directe. Ainsi, le rap français comme instrument de protestation est plutôt considéré comme un moyen d’engagement, sous différentes formes et styles. Essentiellement, il fait des marginaux la norme, avec une conscience collective dans un mouvement d’empouvoirement.

Enfin, je voulais représenter le potentiel académique du rap français et promouvoir l’intersectionnalité, encore peu appliquée dans le domaine des études culturelles en France, comme premier pas vers la mise en évidence académique des minorités en France sur plusieurs nuances, et spécialement le collectif des femmes dans le rap français.