Les recueils factices

Ann-Marie Hansen vient de rejoindre l’équipe MEDIATE à l’université Radboud en tant que postdoctoral research fellow. Ses recherches portent sur les recueils factices, un phénomène fréquent dans la culture littéraire des XVIe-XVIIIe siècles, mais peu connu aujourd’hui. Sur le site du KFN, elle partage sa fascination pour ces volumes personnalisés et les surprises qu’ils peuvent réserver au chercheur.

Quand on commence à travailler avec les imprimés de l’époque moderne on apprend rapidement que les livres anciens recèlent de surprenantes découvertes et surtout lorsqu’il s’agit de recueils factices. Un objet méconnu, le recueil factice (convoluut en néerlandais) est un volume qui contient deux ou plusieurs imprimés qui ont été produits séparément et reliés ensemble par la suite. La constitution de recueils factices était une pratique répandue au début de l’époque moderne, notamment en France, et on estime qu’un quart des imprimés du XVIe siècle qui sont connus aujourd’hui survivent dans cette forme. Et pourtant le phénomène reste peu documenté et encore moins étudié.

Page de titre du deuxième texte dans un recueil factice à la Bibliothèque universitaire Rennes 2.

Pour nous qui achetons aujourd’hui des livres nouveaux sachant qu’une copie est identique à son prochain, ce type d’objet peut sembler curieux. Cela s’explique par le fait qu’avant l’industrialisation de l’imprimé au XIXe siècle, les copies d’une édition n’étaient pas fournies d’une reliure standard par l’éditeur. Le choix de la reliure revenait plutôt à l’acheteur.euse. Elle ou il pouvait décider du matériel qui devait être utilisé, de la qualité du travail commandé, et surtout quel(s) imprimé(s) à faire relier. Car l’on pouvait faire relier différents titres ensemble, notamment lorsqu’il était question de textes courts. Cela permettait la création de volumes personnalisés, suivant des logiques d’utilité, d’économie, de thématique et autres.

Par leur personnalisation, ces objets uniques nous donnent un aperçu sur la lecture qui a pu être faite des textes qu’ils contiennent. Le contexte immédiat dans lequel un livre était reçu nous en dit long sur sa réception contemporaine. Qu’il soit positionné avant ou après un autre texte qui pouvait le contredire, le seconder, ou porter sur un tout autre sujet – par exemple s’il s’agissait de textes utilisés pour apprendre une langue – change radicalement le sens d’un texte.

Or, afin d’analyser les choix et motifs ayant contribué à leur assemblage, il est d’abord nécessaire d’identifier les recueils factices dans les collections historiques. Ayant commencé ce travail à l’université de Rennes, je poursuis maintenant cette recherche en association avec l’équipe MEDIATE à l’université Radboud, où mon projet a justement pour but d’identifier ces volumes particuliers au sein de catalogues de bibliothèques privées vendues entre 1665 et 1830, et plus particulièrement dans les catalogues français et néerlandais. Il sera ensuite possible d’éclairer quels genres de livres s’y prêtaient, quels titres se retrouvaient avec quels autres et d’interroger si ces habitudes variaient selon les sphères culturelles d’Europe et comment cette habitude d’assembler les livres a évolué. La découverte de combinaisons surprenantes est garantie !

Ann-Marie Hansen (Radboud Universiteit Nijmegen)