Le rêve Goncourt

par Robin Chardon, étudiante en Langue et Culture Françaises, Radboud Universiteit Nijmegen

« C’est le rêve, gagner le Goncourt. » Jean-Baptiste Andrea rayonne le bonheur, la stupéfaction heureuse et une légèreté douce quand il prononce ces mots dont je me souviendrai toute ma vie. Car je suis là, moi et trois autres étudiants de différents pays. Nous sommes dans le fameux salon Goncourt en présence des membres de l’Académie Goncourt et du lauréat du Prix Goncourt 2023. Je n’arrive toujours pas à donner forme aux événements qui se sont déroulés, à expliquer en phrases cohérentes les sentiments qui me transversaient dans le restaurant Drouant. Je ferai alors tout simplement une tentative pour dévoiler quelques mystères du mardi 7 novembre dans une ville sous l’emprise de la folie appelée Goncourt.

Les étudiants invités par l’Académie Goncourt. Première à droite: Robin Chardon.
Photo: Alexandre MARCHI / Académie Goncourt

Le Prix Goncourt, le prix littéraire le plus prestigieux dans le monde francophone, donne lieu à des débats vifs, des spéculations ardentes, des passions fortes. Il représente, à en croire en tout cas Jean-Baptiste Andrea, l’accomplissement absolu pour un.e écrivain.e. Il ou elle sera inscrit.e dans le paysage littéraire mondial. À part un chèque symbolique de 10 euros, le vrai prix est la vente qui explose ainsi que l’honneur et l’admiration de (presque) tou.te.s. Rien d’étonnant alors que Jean-Baptiste Andrea caractérise le Goncourt comme « le rêve », sans adjectif bien entendu, puisque comment le décrire ?

Chaque année, des étudiant.e.s de la langue française issu.e.s de 37 pays différents participent à ce que l’on appelle le Choix Goncourt*. On lit les quatre œuvres en lice, on en discute et on choisit le/la lauréat.e national.e. Et chaque année, quatre pays sont invités à participer au Concours de la meilleure critique. En 2022, c’étaient les étudiant.e.s néerlandais.es qui pouvaient se lancer dans l’écriture sur Le Mage du Kremlin. « Je n’ai aucune chance » pensais-je, alors j’ai poussé un cri quand j’ai reçu l’annonce que ma critique avait gagné. C’était parti !

Voyager en première classe, un hôtel quatre étoiles, les repas pris en compte… je me sens époustouflée, incapable d’appréhender le tourbillon onirique dans lequel je suis arrivée. Après m’être promenée à travers Paris, la ville que j’aime tant, je me dirige vers le lobby pour faire la connaissance des trois autres étudiant.e.s et de Françoise Rossinot, déléguée générale de l’Académie Goncourt. À 20h00, nous sommes accueilli.e.s par le personnel de Drouant, guidé.e.s vers le salon Goncourt où se sont rassemblé.e.s les membres du jury. J’ai l’immense honneur (je ne peux que de nouveau avoir recours à ce terme) d’avoir Tahar Ben Jelloun à ma droite, vêtu de manière très simple, et Françoise Chandernagor à ma gauche, de grandes lunettes noires sur le nez. C’est un repas délicieux, nous sommes immergés dans ce monde de cuisine haut de gamme, de conversations amicales, joyeuses, de rires, de discussions passionnantes. Je ne dis que quelques phrases durant toute la soirée, mais ce n’est pas grave. Les mots de Ben Jelloun, je les noterai dans mon carnet allongée dans mon lit : « tant qu’on vit, on écrit ».

Le lendemain à midi, nous repartons pour Drouant, cette fois-ci en nous frayant un chemin à travers la foule de journalistes et de touristes littéraires qui se rassemblent à l’endroit où dans une heure, le/la lauréat.e arrivera. Un déjeuner de six services nous accompagne, composé d’ingrédients raffinés comme le veut la tradition qu’ont mise en place les frères Goncourt : homard, chevreuil, huîtres, mirabelles. De temps en temps, je jette un regard par la fenêtre pour étudier le brouhaha dehors. La décision tarde à être prise, mais enfin à 12h45 sur l’escalier célèbre sont proclamé.e.s les lauréat.e.s du Goncourt et du Renaudot. Or, nous n’entendons rien à cause du bruit de la presse. Ce n’est qu’après quelques minutes que nous apprenons que Jean-Baptiste Andrea et son Veiller sur elle ont été élus, le maximum de quatorze tours atteint après que le vote du Président compte double.

À 13h00, il descend de sa voiture, suivi par son éditeur. Les journalistes l’envahissent, mais il a l’air rassuré, calme. Plus tard, madame Rossinot nous explique que l’annonce avait été en réalité suivie de cris et de larmes, comme l’éditrice qui s’est battue pour ce roman est décédée il y a quelques mois à cause d’un cancer.

Le lauréat Jean-Baptiste Andrea entouré des étudiants, lors de la proclamation du Prix Goncourt 2023. Photo: Alexandre MARCHI / Académie Goncourt.

On nous appelle pour venir au salon pour rencontrer Andrea. Il y a un photographe, le jury s’émerveille, Andrea a un grand sourire, je réponds à ses questions, transportée par la joie qui règne dans la pièce. Et après, c’est terminé. Le déjeuner s’achève, nous causons encore pendant une demi-heure, puis nous partons. Je décide de prendre de l’air toute seule, la tête débordante. Le soir, je me couche tôt et le sommeil me surprend rapidement.

En ce moment d’écriture, je comprends que cet événement a été unique dans tous les sens que ce mot contient. J’ai vécu une chose rare, une chose qui chauffe mon cœur littéraire, qui est inscrite dans ma peau, que je chéris comme une pierre précieuse. Pour Jean-Baptiste Andrea, le 7 novembre 2023 est le rêve. Et pour moi aussi.


* Le Choix Goncourt est organisé par l’Institut français NL, avec le soutien de l’AUF. En savoir plus.